24.08.2018

Le prix unique du livre

Parmi tous les biens de grande consommation, le livre occupe une place particulière en France. Au-delà de l’aspect économique, le livre est surtout porteur d’enjeux culturels. C’est pourquoi aujourd’hui encore, son prix échappe en grande partie aux règles du marché.

Cette situation est le résultat d’une volonté politique de protéger le marché du livre qui a été traduite par l’adoption le 10 août 1981de la loi Lang instaurant le prix unique du livre. Le dispositif permet de réguler le marché du livre par les prix, en imposant à l’éditeur de fixer un prix de vente au public, que le détaillant pourra remiser dans la limite de 5%.

 

Une exception à la liberté des prix et de la concurrence.

L’économie de marché repose sur la liberté des prix et de la concurrence, principe fondamental institué par l’ordonnance du 1er décembre 1986. Ce texte codifié au sein du code de commerce, dispose que :

« Sauf dans les cas où la loi en dispose autrement, les prix des biens, produits et services (...) sont librement déterminés par le jeu de la concurrence. »

(Article L.410-2 du code de commerce)

Ce principe de libre fixation des prix implique également la prohibition du prix minimal imposé : il est interdit d’imposer au distributeur un prix minimal de revente des biens ou services. La violation de cette prohibition fait l’objet d’une sanction spécifique du code de commerce et peut en outre constituer une  pratique anticoncurrentielle comme l’entente ou l’abus de position dominante. Cette règle n’interdit pas néanmoins la pratique des prix conseillés ou recommandés.

Dans ce contexte de liberté des prix, le livre est une exception. En effet, le législateur français a soustrait ce bien si particulier aux prises du marché. C’est l’apport de la loi du 10 août 1981 dite loi Lang. Elle poursuit un triple objectif :

                -l’égalité des citoyens devant le livre, vendu au même prix sur tout le territoire national, 

                -le maintien d’un réseau décentralisé très dense de distribution, notamment dans les zones défavorisées,

                -le soutien du pluralisme dans la création et l’édition en particulier pour les ouvrages difficiles, c’est-à-dire ceux qui se vendent moins.  

Le premier objectif est de garantir une égalité de traitement des citoyens : quelque ce soit le canal d’achat et où que ce soit en France, les lecteurs paieront un prix unique. Le second objectif est de préserver le maillage des librairies indépendantes alors que la loi a été adoptée dans un contexte d’émergence des grands réseaux de distribution qui menaçait l’existence de ces commerces de proximité. Enfin, le dernier enjeu est de maintenir la pluralité de la production littéraire française.  

 

La règlementation du prix du livre. 

Cette réglementation s’applique au livre tel qu’il est définit en matière fiscale :

« Un livre est un ensemble imprimé, illustré ou non, publié sous un titre, ayant pour objet la reproduction d'une œuvre de l'esprit d'un ou plusieurs auteurs en vue de l'enseignement, de la diffusion de la pensée et de la culture.

Pour être considéré comme un livre, un ouvrage doit remplir les conditions cumulatives suivantes :

- être constitué d’éléments imprimés ;

- reproduire une œuvre de l’esprit ;

- ne pas présenter un caractère commercial ou publicitaire marqué ;

- ne pas contenir un espace important destiné à être rempli par le lecteur. (...) »

(Bofip-impôts n°BOI-TVA-LIQ-30-10-40 sur le taux de TVA applicable aux livres)

 

Outre le format papier, cette définition inclus également le format audio et numérique. Le législateur a d’ailleurs étendu la loi Lang au livre numérique par une loi du 26 mai 2011.

Cette règlementation oblige tout éditeur ou importateur de livres de fixer un prix de vente au public. Sur ce prix fixé par l’éditeur ou l’importateur, seul un rabais de 5% peut être accordé par les détaillants. De la librairie de quartier aux grandes surfaces, à l’éditeur ayant sa propre distribution en passant par les vendeurs en ligne ou par correspondance, tous les distributeurs de livre sont concernés par cette règle.

La fixation du prix oblige l’éditeur ou l’importateur à en faire le marquage sur la couverture du livre que ce soit par impression ou étiquetage. Il doit aussi indiquer son identité.

Les livres édités ou importés depuis plus de deux ans et dont le dernier approvisionnement remonte à plus de six mois sont exclus de l’encadrement des prix. Les détaillants peuvent pratiquer sur ces livres des prix inférieurs aux prix fixés par l’éditeur. De même, l’encadrement du prix est assoupli s’agissant des livres achetés par l’État, les collectivités territoriales, les syndicats et comités d’entreprises ainsi que d’autres personnes morales. C’est le cas encore pour les livres scolaires vendus aux associations de parents d’élèves et aux établissements scolaires. Ce texte prévoit aussi que le libraire doit offrir un consommateur, un service gratuit de commande à l’unité lorsque le livre n’est pas disponible en rayon. Cette possibilité doit être gratuite sauf le cas où la commande suppose des prestations exceptionnelles.

L’encadrement de ce prix n’est pas une exception culturelle française. On retrouve des dispositifs similaires sur le prix du livre ailleurs dans le monde (Corée du Sud, Argentine, Japon, ...) ou alors en Europe (Portugal, Autriche, Pays-Bas, ...).

À noter qu’il existe même un médiateur dans le secteur du livre. Compétent pour traiter des litiges entre professionnels relatifs à l’application de cette législation, il peut être aussi bien saisi par les éditeurs, détaillants, prestataires techniques ou encore par les organisations professionnelles ou syndicales concernées.

 

En résumé, le système obligatoire de fixation du prix par l’éditeur assure un prix de commercialisation unique qui garantit l’accès au livre à tous et maintient les librairies de quartier ainsi que la création littéraire.

À l’ère numérique, un rapport d’évaluation de la loi mené en 2008-2009 a notamment conclu à un bilan positif de ce texte ainsi qu’à sa pertinence encore à l’heure actuelle. Enfin, dans un rapport de 2012 sur l’avenir de la librairie, il a été préconisé de renforcer la réglementation afin d’assurer la pérennité du réseau de libraire sur l’ensemble du territoire.