Projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2018

   Communiqué   

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Paris, le 20 octobre 2017

Mesdames et Messieurs les Députés, 

Nous accueillons l’ouverture du débat budgétaire de la Sécurité sociale sous de meilleurs auspices que par le passé : espoirs de croissance, déficit global de la Sécurité sociale réduit, certaines caisses retrouvent même l’équilibre. C’est le cas de la branche famille qui parvient à dégager un excédent.

Pour une branche aussi essentielle (les prestations familiales couvrent 31,8 millions de personnes, soit la moitié de la population française) cela signifie retrouver ses moyens d’action et la possibilité de réinjecter du pouvoir d’achat pour les familles. C’est d’ailleurs en ce sens que le gouvernement lui-même a présenté son budget.

 

Les familles ont besoin de moyens supérieurs, la branche peut leur donner.

Les familles ont payé cher pour atteindre cet excédent : ces dernières années les coupes budgétaires sur les prestations ont été multiples. Prestations familiales, allocations logement, quotient familial…

Au final près de 2,1 millions de familles sont gagnantes de la revalorisation de l’allocation de rentrée scolaire, l’allocation de soutien familial et du complément familial, mais il y a aussi 3,2 millions de perdants qui ont vu le montant de leurs prestations mensuelles baisser. N’oublions pas ces dernières. Notre point particulier d’inquiétude vient du fait que les prestations petite enfance ont particulièrement marqué le pas : la Paje a perdu 160 000 bénéficiaires.

Alors que ces réformes nous ont été présentées sous couvert d’une redistribution plus forte vers les familles au plus bas revenu, nous nous interrogeons sur leur impact réel. La politique familiale est une politique universelle et ce sont bien toutes les familles qui ont été impactées, mais plus particulièrement les jeunes familles : leur refuserait-on le droit de bénéficier de la Sécurité sociale, comme les générations précédentes ?

 

Les chiffres de la Sécurité sociale ne peuvent systématiquement être opposés à ses principes pour en remettre en cause les fondements.

Familles de France regrette qu’une fois de plus ce débat soit toujours l’occasion d’annonces « un peu brutales », comme cette année la question de l’universalité des allocations familiales, plutôt que d’une concertation de fond sur les finances de la Sécurité sociale et le niveau de notre protection sociale.

Familles de France attend un texte qui permette d’envisager l’avenir de la politique familiale. Las de discuter des « rabotages » au « coup » par « coût », il est temps de redéfinir une politique qui s’inscrit dans le temps et dans la vie des familles.

 

Nous insistons une nouvelle fois : cette année la branche famille présente un budget excédentaire. C’est à l’analyse de ce seul constat que nous vous demandons de voter et d’investir pour la politique familiale.

Patrick Chrétien

Président de Familles de France

 

 

Les mesures concernant la branche famille

               

L’article 25 du présent projet de loi prévoit la mise en place d’une majoration supplémentaire (+30%) du complément du libre choix du mode de garde (CMG) pour les familles monoparentales.

 

La mesure :

Pour rappel le CMG est un complément de la prestation d’accueil du jeune enfant (Paje), une aide financière pour la garde des enfants de 0 à 6 ans pour les familles qui font appel à un-e assistant-e maternel-le, une garde à domicile ou une micro-crèche non couverte par la prestation de service unique (PSU). Son montant varie en fonction des ressources de la famille, de l’âge de l’enfant et de la garde choisie.

Les familles monoparentales bénéficient à l’heure actuelle d’une majoration des plafonds de ressources : cette mesure vient, en plus, revaloriser le montant de leur prestation (actuellement cette majoration des montants n’est appliquée qu’en cas de travail en horaires atypiques, ou si le parent souffre de handicap).

 

L’impact sur les familles :

Familles de France est favorable à cette mesure, qui va solvabiliser les familles qui ont recours aux modes de garde les plus chers.

Si le taux de natalité français reste le plus important d’Europe (1,93 enfants par femme), la parentalité ne doit pas éloigner les parents du monde du travail, en particulier les femmes sur qui pèse le plus la charge de concilier vie familiale et vie professionnelle. Pour cela, il existe une solution : développer les services et l’accès aux modes de garde. Les résultats sont pourtant aujourd’hui insuffisants : à la naissance 31% des familles sont encore dans l’incertitude quant au mode de garde de leur enfant.

Les inégalités d’accès aux modes de garde sont réelles et flagrantes :

-          Elles sont géographiques, tous les territoires n’étant pas également dotés (le taux de couverture variant de 9 à 86% selon les départements), mais elles sont aussi économiques. Selon les derniers chiffres de l’Observatoire de la petite enfance près de 60% des enfants issus de milieux favorisés bénéficient d’un mode de garde, contre 10% seulement pour les plus défavorisés.

-          Le reste à charge pour les familles sur les tarifs d’un-e assistant-e maternel-le et d’un accueil collectif varie du simple au double. C’est la garde individuelle qui reste la plus chère : pour une famille dont les revenus sont équivalents à 1 Smic, le coût d’un-e assistant-e maternel-le revient en moyenne à 153€, mais n’est que de 57€ pour une crèche.

 

La situation des familles monoparentales :

L’accès aux modes de garde et la conciliation vie familiale-vie professionnelle représentent un enjeu essentiel pour les familles monoparentales qui font face à une situation financière et matérielle plus dégradée.

12% des enfants de moins de 3 ans vivent aujourd’hui avec un seul parent :

-          la plupart du temps, ce sont les mères seules qui sont en charge de famille (96%)

-          elles sont en moyenne moins diplômées que les autres : 17% à niveau bac+2, contre 50% des mères en couple

-          et plus souvent au chômage (31% contre 12% chez les couples)

-          même lorsqu’elles travaillent, leur emploi est plus souvent précaire (intérim, emploi aidé, mi-temps, horaires atypiques)

Il en résulte que ces familles sont plus éloignées des modes de garde formels : 41% des enfants vivant en famille monoparentale fréquentent un mode de garde alors qu’ils sont 55% chez les couples. Les différences sont encore plus criantes selon le mode de garde : si en activité, 30% des familles monoparentales ont recours à un-e assistant-e maternel-le contre 52% pour un couple où les deux parents travaillent, mais sont par contre largement lissées en ce qui concerne les établissements d’accueil du jeune enfant (les chiffres passent respectivement à 27% et 22%)

 

Les nouveaux efforts à fournir pour la petite enfance :

Viser spécifiquement une revalorisation du CMG pour les familles monoparentales, un public qui reste très éloigné de ce mode d’accueil du fait de son coût, est donc juste.

Mais pour Familles de France, c’est encore insuffisant :

  1. Souvent évoqué, expérimenté, mais pas encore mis en place, le CMG tiers payant semble la meilleure possibilité pour solvabiliser les familles les moins favorisées dans l’accès aux modes de garde individuels : il leur évite de faire l’avance de frais, tout en solvabilisant également les assistant-e-s maternel-le-s (évitant les non-paiements dont elles sont parfois victimes).
  2. Il est important de mobiliser l’ensemble des aides pour plus de cohérence dans le parcours des familles. Pôle emploi propose l’aide à la garde d’enfants pour les parents isolés (AGEPI), qui doit systématiquement venir compléter l’ensemble Paje-CMG proposé aux familles monoparentales. Le dispositif est trop peu connu et – bien que limitée (entre 170 et 400€ sur un an) – elle peut constituer une aide non négligeable dans le parcours d’insertion.
  3. Si les assistant-e-s maternel-le-s sont le premier mode de garde payant utilisé en France, le premier choix des parents se porte généralement vers l’accueil collectif, dont les tarifs restent plus abordables. Nous rappelons que le CMG laisse à minima 15% des frais à charge des familles, alors que le taux d’effort varie entre 4 et 9% pour une solution d’accueil collectif.
  4. À ce titre Familles de France souhaite voir favoriser les services collectifs couverts par la prestation de service unique : en d’autres termes les services aux tarifs régulés et fonction des revenus des familles. Mais leur développement reste insuffisant : seulement 40% des
    100 000 places promises en 2012 ont effectivement été créées. La petite enfance reste fondamentalement dépendante de l’initiative locale qu’il faut mobiliser et libérer. De notre expérience de gestionnaire de services : il faut orienter la décision au niveau des intercommunalités ou des métropoles (la compétence aujourd’hui dépend des communes, qui individuellement manquent de moyens pour développer des nouveaux services). Nous constatons encore une certaine résistance contre ce transfert dans les villes, résistance qui pénalise les petites communes rurales et encourage l'ubérisation des services, notamment par l'utilisation des maisons d'assistant-es maternel-les qui ne peuvent être en aucun cas comparées au service d'une crèche PSU.

 

L’article 26 du présent projet de loi aligne les conditions de versement et les montants de l’allocation de base de la Paje et du complément familial.

 

La mesure :

Partant du constat que ces prestations se succèdent dans le temps - l’allocation de base étant versée de 0 à 3 ans, le complément familial à partir de 3 ans - le gouvernement propose d’aligner leurs conditions et montants.

Pour rappel aujourd’hui les montants de l’allocation de base se situent entre 92 et 184€. Ceux du complément familial : entre 169 et 236€. Avec des plafonds de ressources annuels largement en dessous de ceux de la Paje, le complément familial touche un nombre bien plus limité de familles. C’est évidemment sur les plafonds les plus bas que le gouvernement propose de s’aligner.

-          Alors que l’on nous annonce que la branche famille dégagera en 2018 un excédent de
1,3 Mds d’€ Familles de France espérait un signe fort pour la politique familiale. Cet espoir semble perdu puisque nous découvrons dans cet article 26 un nouvel acte de « rabotage » des prestations familiales.

-          Familles de France conteste fermement que ces prestations aient la même destination. Si l’une et l’autre se succèdent bien dans le temps, l’une et l’autre n’ont pas les mêmes bénéficiaires : l’allocation de base étant destinée aux parents de jeunes enfants (versée dès le premier enfant), le complément familial aux parents de familles nombreuses (3 enfants et plus). L’allocation de base, c’est aujourd’hui 1 712 852 allocataires, le complément familial 857 532.

 

L’impact cumulé des réformes de la Paje :

Depuis l’origine des réformes des prestations familiales, en 2014, la Paje a subi nombre d’adaptations :

-          allocation de base à taux réduit pour les plus hauts revenus

-          gel de l’allocation de base

-          suppression de la majoration du CLCA

-          baisse des plafonds du CMG

-          décalage de 2 mois du versement de la prime de naissance

-          réforme et partage d’une partie du congé parental

Le résultat aujourd’hui se constate en chiffres : le nombre de bénéficiaires de la Paje a baissé de 7,84%, phénomène étonnant compte tenu de la vigueur de la natalité française.

Familles de France peut évidemment comprendre des mesures de maîtrise des dépenses, mais s’étonne de ces coups systématiques portés sur les jeunes familles. Ces réformes des prestations ont été portées en invoquant la nécessité de rendre la politique familiale plus redistributive, de mieux protéger les plus fragiles : les jeunes familles en sont. Alors que l’on annonce un retour à l’excédent, rien ne permet de comprendre ou de justifier une telle mesure.

 

Les mesures comptables ne font pas le compte :

Familles de France conteste d’autant plus la mesure qu’elle s’inscrit dans un exercice d’équilibre financier injuste. L’article précise en effet que cet alignement par le bas entrera en vigueur dès le
1er avril prochain, alors que les familles monoparentales concernées par la mesure précédente auront, elles, à attendre jusqu’au 1er octobre 2018 pour voir leur CMG revalorisé.

  1. L’allocation de base comme le CMG font partie d’une même prestation, la Paje : peut-on prétexter de rendre l’architecture de la politique familiale plus lisible et faire jouer tous les curseurs d’une prestation (montant, revalorisation, plafonds) tout au long de l’année ? Nous l’avons bien compris, il s’agit purement et simplement de faire des économies dès le début de l’année pour n’engager les dépenses qu’au dernier trimestre. Le budget de la branche famille s’y retrouve peut-être mais le gain pour les familles est – au final – nul.
  2. Familles de France réagit d’autant plus à ce calendrier qu’il est loin d’être une disposition isolée. Si nous avons été heureux de constater à l’article 29 du projet de loi que la revalorisation des pensions de retraite se fera désormais au 1er janvier (une mesure qui devrait favoriser le pouvoir d’achat des retraités), les familles peuvent s’interroger. Pourquoi seraient-elles, elles, dans l’obligation d’attendre toujours le 1er avril pour voir leurs prestations revalorisées ? Nous revendiquons, pour reprendre les termes du projet de loi, de permettre à tous les assurés « de bénéficier de règles cohérentes », familles incluses.

 

L’architecture de la politique familiale est un ensemble de réponses adaptées :

Si l’ensemble de la politique familiale représente une architecture complexe (de services, de dispositifs fiscaux, de prestations) c’est pour répondre à des situations familiales diverses, au plus près de la réalité des populations.

Aligner la politique familiale par le bas ne la rend pas plus juste et bouger les curseurs des montants ou des conditions des prestations ne définit pas une politique publique. En niant l’architecture et la réalité de la politique familiale, cela dans un seul souci d’économies, ces réformes au contraire créent de l’injustice :

  1. L’impact des prestations familiales est significatif et important pour lutter contre la pauvreté des enfants : elles la réduisent de 32 à 23%. Limiter les moyens de la branche famille, c’est limiter aussi tous les impacts positifs des prestations.
  2. L’architecture dite « complexe » des prestations (dont l’ensemble est déjà sous conditions de ressources) a pour but d’assurer non seulement une redistribution horizontale – c’est-à-dire fonction des charges de famille – mais aussi verticale, soit fonction des revenus. Le système ne sera pas plus juste si – comme ces réformes successives y tendent – on en supprime tout un volet redistributif.

 

La Sécurité sociale ne se réforme pas sans débat

 

Au-delà des petites mesures comptables concernant la politique familiale ce présent projet de loi, à l’exemple de l’élargissement de l’assiette de la CSG (article 7) et de la disparition du RSI (article 11, pas moins de 31 pages), contient des mesures fondamentales sur le financement et l’organisation de notre système de protection sociale.

 

Depuis des années le discours autour de la Sécurité sociale est purement budgétaire : déficit des caisses, élargissement de l’assiette de financement… Une nécessité évidemment pour pérenniser le régime général. Mais ces réformes gestionnaires ont au fil du temps fait perdre les objectifs du système et c’est notre niveau de protection sociale qui, petit à petit, s’amenuise :

 

  1. À l’image de la politique familiale (conditionnement multiples et gel de prestations), du gel des retraites, les mesures budgétaires ont essentiellement été à la charge des assurés et remettent en cause l’étendue de leur protection sociale.
  2. Plutôt que d’un vrai débat public, on « limite » la Sécurité sociale jusqu’à la rendre moins utile, mais donc plus aisément réformable.

 

La situation inquiétante de l’assurance maladie en constitue l’exemple le plus récent :

-          La structure des prises en charge des soins a largement évolué (montée en charge des mutuelles) avec la généralisation des complémentaires santé.

-          La protection offerte n’est pas celle de la sécurité sociale : la part des mutuelles dans la prise en charge des soins en ville et des médicaments est en effet en baisse depuis 2008 (pour la médecine de ville une baisse de 12,2% en 2008 à 11,2% en 2015, et pour les médicaments de 10,1% à 7,2%).

-          Comme l’indique le dernier rapport de l’IGAS (juin 2017), les inégalités d’accès aux soins persistent et les réseaux de soins (institués par la loi Le Roux du 27 janvier 2014) ont plutôt tendance à les accentuer : les personnes bénéficiant des meilleures complémentaires sont précisément ceux qui ont accès aux réseaux et à leurs tarifs préférentiels, les autres en restant exclus.

 

Ce point pour affirmer que la couverture complémentaire généralisée n’est pas en soi un gage de protection si le même niveau de protection n’est pas offert à tous. Et la conséquence est grave : le non-recours aux soins (voir la situation désastreuse des soins dentaires).

La justice et la solidarité de notre système de protection sociale réside dans le fait qu’il offre la même garantie (à travers les mêmes prestations) à tous : c’est le principe d’universalité. Nous maintenons que cette notion a encore toute sa place dans le débat budgétaire.

Familles de France est un mouvement reconnu d’utilité publique, libre de tout lien politique, syndical ou confessionnel. Son réseau (300 associations locales dans 75 départements, 43 000 familles adhérentes) animent des activités à vocation familiale et plurigénérationnelle,  destinées à faciliter la vie quotidienne des familles, à les soutenir dans leurs relations et leur rôle parental, à leur permettre de mieux maîtriser leurs conditions de vie économique et sociale.

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