30.05.2016

Colloque sur la prévention de la radicalisation - Paris 27 et 28 avril 2016

Définition de la radicalisation menant à la violence: «processus selon lequel des personnes adoptent un système de croyances extrêmes – comprenant la volonté d'utiliser, d'encourager ou de faciliter la violence – en vue de faire triompher une idéologie, un projet politique ou une cause comme moyen de transformation sociale».

Il existe des facteurs de vulnérabilité mais également de protection et un terreau de disponibilité rassemblant une combinaison de facteurs. Il convient de préciser qu'il n'y a ni de profil - type d'individu ni de trajectoire type.

Les facteurs de vulnérabilité

1- Les facteurs psychologiques            

  . fragilité ou troubles psychologiques                      

  . gestion des émotions                                            

  . rigidité psychologiques

  . épisode de détresse psy.

Les facteurs de protection

  . sens critique et modération cognitive

  . résilience émotionnelle et morale envers les tentatives d'influence par des individus extérieurs

  . empathie pour les autres

  . gestion des émotions

2- Les facteurs socio-identitaires

  . isolement social subi ou choisi

  . sentiment de malaise identitaire

  . perception d'être stigmatisé en raison de ses croyances ou de ses origines

 les facteurs de protection

  . construction identitaire stable

  . fort sentiment d'intégration et d'acceptation sociale

  . lien social fort.

3 - Les facteurs biographiques

  .  adolescence/passage à l'âge adulte

  .  épisodes de vie difficile

  . crise existentielle/spirituelle (période ante et post-conversion)...

les facteurs de protection

  . soutien, accompagnement et écoute disponible face à des épisodes de vie difficiles

4 - Les facteurs relationnels

  . désaffiliation familiale

  . isolement amical

  . réseaux de relations dans les milieux radicaux.

les facteurs de protection

  . insertion dans un réseau social tempéré (en personne ou virtuel)

  . environnement relationnel stable

  . relation de qualité avec un modèle positif

  . situation familiale stable

5 -Les facteurs externes

  . débats de société

  . positionnement de l'Etat à l'égard d'enjeux internationaux et nationaux

  . discours publics et médiatiques

  . discours et propagande extrémistes....

les facteurs de protection

  . contre-discours face à l'extrémisme

  . débats sociétaux ouverts prônant la tolérance, le respect et l'intégration

  . renforcement des principes du vivre-ensemble

Le terreau de disponibilité: une combinaison de facteurs

L'expérience montre l'existence de deux cas de radicalisation.

Soit la combinaison des facteurs psychologiques, relationnels et socio-identitaires

Soit la combinaison des facteurs biographiques, relationnels et externes.

L'offre radicale propose un cadrage moral qui se définit comme la rencontre d'un individu «disponible» avec un discours idéologique qui lui offre soit des diagnostics simplistes sur le monde social et les événements internationaux, soit des solutions – elles aussi simplistes – et manichéennes ou bien des motivations et des incitatifs moraux à rejoindre une «cause» et à s'y engager pleinement.

Les «entrepreneurs» de radicalité

Ils proposent un discours fortement binaire d'un point de vue moral (le bien contre le mal, le juste contre l'immoral....) et une légitimation de l'action clandestine violente pour restaurer une situation perçue comme injuste ou préjudiciable.

Le processus d'adhésion à une offre radicale

Il s'opère en quatre temps

  • l'exposition initiale de l'individu à une offre radicale dans une de ses sphères de vie qu'il s'agisse de la sphère virtuelle (sites web, forum de discussion, médias) ou/et la sphère de vie réelle (réseau professionnel, amis, famille)
  • la résonance entre l'offre radicale et l'individu
  • le développement progressif d'une sociabilité radicale
  • l'adhésion croissante et démesurée à l'offre radicale

Enjeux de recherche actuels

Il faut mettre en commun tout ce que la recherche  propose sur les phénomènes de radicalisation et favoriser les recherches empiriques afin de permettre un meilleur enracinement de la recherche  dans une vision pratique.

Sur le terrain

Mise en place par les pouvoirs publics de la plate forme téléphonique (téléphone vert) qui permet la détection des personnes signalées en voie de radicalisation (9000 environ) et la construction d'une réponse sécuritaire immédiate mais non répressive. Tous les cas de personnes signalées sont néanmoins transmis aux préfets concernés.

En matière de prévention contre la radicalisation, il faut nécessairement prendre en compte le parcours chaotique personnel du jeune et, à cette situation, apporter une réponse individuelle dans le respect du principe de laïcité.

Ce parcours chaotique se définit  par un ensemble de situations qui touchent à l'attrait pour les sectes, la quête de sens qui traduit la dimension religieuse, les actes de délinquance et l'usage de drogue. Ces personnes sont des âmes flottantes.

     - l’importance proclamée du califat de l'état islamique.

Il est vécu comme la naissance d'une nation nouvelle où le jeune retrouvera de la fierté, de la justice car pour lui la démocratie, telle qu'il l'a vit en occident, est un mensonge et s'apparente à un esclavagisme moderne dont l'islam va lui permettre de lutter.

Actuellement, les personnes en voie de radicalisation s'identifient plus à des valeurs qu'à des états nations et ces valeurs islamistes leur sont tellement essentielles qu'ils sont prêts au sacrifice suprême pour les défendre.

Pour eux les valeurs partagées entre amis sont des valeurs sacrées.

Dans un processus de dé radicalisation, il ne faut surtout pas  attaquer ces valeurs au risque alors de provoquer une rigidité et un renforcement de ces valeurs.

     - la tentative de jihadisation de la société.

Le phénomène de la jihadisation se traduit par 200 000 likes de Daesch et 400 000 connexions par jour sur des sites jihadistes.

8 500 signalisations par les familles et 4 500 repérés soit 13 000 en tout. 80 % ont plus de 20 ans et l'âge moyen est de 28 ans et sur cette population 20 % ont un niveau de Bac plus 2. Majoritairement  il s'agit de convertis et de femmes.

  • les éléments constitutifs de la matière de l'idéologie jihadiste.

Trois caractéristiques fondamentales composent ces éléments:

. le paradis de la jouissance après la mort,

. l'idolâtrie du prophète Mohammed,

. la haine de la raison.

Ces trois éléments se conjuguent dans une sacralisation de la violence et de la mort.

Les finances engagées par l'Etat Français pour le soutien à la parentalité dans lequel figure la prévention contre la radicalisation étaient de 50 millions d'euros en 2012 et passeront à 100 millions d'euros en 2017.

 

La lutte dans différents pays

- Le cas de la Grande Bretagne

Le gouvernement britannique lutte contre l'idéologie par des clips vidéos comme «la famille compte pour quelque chose» et veut restreindre les accès aux supports sociaux. Il demande aux fournisseurs d'accès d'être plus proactifs mais constate que cela n'est pas suffisant car la campagne menée doit être internationale.

Parallèlement, le gouvernement lutte par des actions en direction des individus.

 . la protection des enfants contre la manipulation

 . la lutte contre la drogue.

Un programme est établi pour susciter la confiance des individus et ce travail se fait en partenariat avec les institutions et l'école. Il a pour finalité de développer l'esprit critique des jeunes - les femmes sont particulièrement visées -  et parallèlement le rôle et le travail des associations de quartier sont encouragés.

- Le cas de l'Allemagne

Le programme d'intervention se veut pragmatique, idéologique et possède une dimension affective

Est identifié, comme élément essentiel, le rôle de la mère comme processus de prévention.

La prévention, la répression et l'intervention directe doivent être complémentaires pour réussir dans la prévention de la radicalisation.

Accompagner les familles avec des experts s'avère indispensable et à cet effet il existe plusieurs points de contact auxquels peuvent s'adresser les familles comme le réseau «mothers for life»

- Le cas du Danemark

L'information des parents sur les structures existantes se fait au plus tôt en tendant la main vers les personnes radicalisées et des stratégies sociales sont dorénavant mises en place.

Au cours des années 2013-2014, 200 jeunes, de retour de Syrie, ont été incarcérés (davantage de mineurs et plus de femmes) et il a été constaté un changement de profil en prison. A un modèle extraverti (barbe, prosélytisme, irrespect vis à vis de l'imam...) s'est substitué à partir des années 2008-2009 un modèle introverti qui est devenu dominant car le radicalisé veut échapper aux grilles d'analyse. Les radicalisés forment des groupes de 2 ou 3 personnes qui vont vers les personnes les plus fragiles.

Un tiers des gens en prison sont psychotiques.

4 types de jihadistes ont été identifiés:

. le jihadiste en béton. Son rapport à la mort pose problème,

. l’incertain qui vit une instabilité existentielle,

. le traumatisé qui a vu la violence en direct et subit des troubles psychologiques,

. le repenti qui rejette les actions violentes. Il faut absolument le séparer des endurcis.

- Le cas de la république de Singapour

Depuis plus de dix ans est en marche un programme de déconstruction de la radicalisation. Il s'adresse particulièrement aux personnes détenues et à leurs épouses ou époux et aux individus faisant l'objet d'une surveillance.

 Vis à vis du grand public et à titre préventif, les différents concepts de l'islam sont enseignés par des intellectuels et des comités d'experts sous forme de conférences et/ou des interventions dans l'éducation. Il s'agit d'éduquer le public de la communauté musulmane.

Fait l'objet également de l'attention des pouvoirs publics le soutien aux familles sous l'aspect psychologique pour éviter les dérives est bien pris en compte.

La réinsertion s'opère par une décentralisation sur le terrain. Les enseignants, les religieux et les travailleurs sociaux tirent tous dans le même sens. 

La réorganisation des prisons participe à ce souci de réinsertion.

Il y a, dans ce pays, un réel soutien politique sur le long terme.

La lutte contre la propagande

L'Etat Islamique en construction développe un projet politique avec un contrôle des territoires. Il utilise toutes les formes de réseaux sociaux et montre son visage comme étant une organisation terroriste (scène de décapitation...) et une entreprise de guerre  révolutionnaire.

Son orientation stratégique est de dire aux jeunes «venez nous rejoindre» en leur précisant comment se rendre en Syrie et peut aller même jusqu'à leur indiquer comment construire une bombe.

La lutte contre cette propagande passe par trois mesures: d'abord par un contre- discours mis en place en France «Stop Jihadisme»,  les anciens radicaux dialoguent avec les radicaux.

En second lieu, par la censure avec la loi du 13 novembre 2015 qui prévoit des sanctions pour les pro-pagantistes et la fermeture de sites Web.

Enfin par les méthodes d'infiltration.

En France, il y a eu une réponse tardive à l'utilisation des réseaux de communication et il faut dorénavant encourager une collaboration plus intense public-privé.

L'aspect psychologique des jeunes radicalisés ou en voie de radicalisation

La société actuelle est vide de sens et la personne qui se radicalise cherche une croyance et même une radicalité de croyance.

L'adolescent, a besoin d'idéaux, une dimension négative le traverse et il aime affronter le danger. La radicalisation lui offre cette opportunité, d'où son enracinement dans une croyance.

Une fois radicalisé, il ne faut pas  dé- radicaliser le jeune mais le reconstruire.

L'offre d'internet – puissance énorme – crée la demande et cette offre est constituée par plusieurs facteurs où le jeune peut être sensible:

  • la justice identitaire: l'idéal islamique a été blessé et la réparation ne peut être que collective ce qui suppose l'engagement de chacun pour devenir le vengeur de l'idéal.
  • déification de la toute puissance: le jeune sera un élu, chargé d'une mission qui l'autorise à être tout puissant
  • la purification qui sacralise la délinquance
  • la restauration du sujet de la communauté contre le sujet de la société
  • l'achèvement du sens et donc mettre un terme à l'errance du sens.

Tous ces aspects ont pour objet que le jeune adopte la figure du Sur Musulman.

L'usage d'internet  provoque une fluidification des liens sociaux et réduit les degrés de séparation. Dès lors, les croyances investissent majoritairement l'espace médiatique et touchent les indécis.

Chez les personnes qui se radicalisent, se crée un entre–soi très fort, entretenu par la théorie du complot, laquelle théorie est sous-tendue par les vidéos et la littérature conspirationnistes.

L'homme ordinaire relativise les valeurs morales alors que l'homme radicalisé ne peut sortir de ce carcan et il faut donc susciter la défense immunitaire chez lui et non vouloir le dé-radicaliser.

L'emprise mentale est-elle une caractéristique de la radicalisation?

Si l'emprise mentale caractérise bien  la dérive sectaire, il n'empêche que tous les radicalisés ne sont pas sous emprise mentale sauf pour les plus jeunes qui le sont parfois.

La dérive sectaire se définit en effet pour la victime par la perte du libre-arbitre, l'état d'emprise mentale et le fait que l'adepte est une victime.

En revanche le radicalisme jihadiste se définit d'abord comme une adhésion volontaire, ensuite une responsabilité dans l'engagement et enfin l'emprise mentale est plus discutable, excepté pour les plus jeunes.

La crise adolescente est un maelstrom émotionnel et le jeune est en quête non seulement de son identité mais de sens. Il vit aussi, de façon aigu, l'angoisse de la séparation future avec sa famille.

Il n'est pas rare que des familles se considèrent plus forte que la société et empêchent le développement psychique de leur enfant, le tenant dans une emprise familiale où le processus de transmission ne peut pas se faire.

L'adolescent aura alors tendance à entrer dans une autre emprise qui, pour le coup, peut être jihadiste et, ce, parfois même à l'intérieur de sa propre famille.

Pour le jeune radicalisé qui revient de Syrie, alors que le groupe de Daesch a été sa seule source d'émotion, il faut entreprendre avec lui un travail de sécurisation et de ré-affiliation  en lui faisant se souvenir de sa «madeleine de Proust». Autrement dit parler à son inconscient pour lui faire éprouver, ne serait-que quelques secondes, un sentiment. Il s'agit de le réincarner  pour qu'il s'humanise et cette humanisation se traduit souvent par des pleurs.

Une fois cette étape franchie, et dans les 24 heures qui suivent, ouvrir une «fenêtre cognitive» à partir du discours d'un repenti et lui montrer son incohérence pour qu'il se fissure.

La troisième étape consiste en la restructuration cognitive du jeune en valorisant son incertitude car il est très difficile de casser l'embrigadement relationnel.

Ce dernier travail appartient au psychiatre.

 La lutte au plan juridique

300 procédures engagées dont 253 sont toujours en cours

271 personnes sont mises en examen dont 34 femmes et 24 mineures parmi elles.

Dans tous les parquets a été installé un magistrat chargé des dossiers terroristes.

Thierry Foulquier-Gazagnes

Administrateur de «Familles de France»

Administrateur de l'Unaf

 

 

 

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