30.07.2020

On se serre encore plus la ceinture": le coût du masque pèse sur le budget des Français

Devenu obligatoire dans tous les lieux publics clos, le masque est devenu une nouvelle encoche dans le budget des Français les plus précaires.

C'est un accessoire devenu obligatoire : depuis lundi, le port du masque n'est plus une option et doit être respecté dans "tous les lieux publics clos". Dans certaines villes, les riverains doivent même s'habituer à le porter en extérieur, afin de limiter la propagation du coronavirus. Mais alors que le masque s'ajoute à la liste des objets "nécessaires" à la vie des Français, sous peine d'une amende de 135 euros, la question de son budget est sur toutes les lèvres. Selon les calculs de certaines associations et de plusieurs médias, dont Le Parisien, le coût mensuel de ces masques pour une famille de quatre personnes avec deux enfants âgés de plus de 11 ans (âge à partir duquel le masque devient obligatoire) s'élève ainsi à 96 euros par mois pour des modèles lavables, et à 228 euros pour des masques chirurgicaux à usage unique.  

Un budget loin d'être anodin, notamment pour les plus précaires. Face à l'inquiétude des familles, le ministre de la Santé Olivier Véran a annoncé mercredi sur France 2 que le gouvernement enverrait gratuitement 40 millions de masques grand public lavables aux 7 millions de Français les plus pauvres - bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire. Mais qu'en est-il des familles ou des jeunes actifs situés "au creux de la vague", à l'échelon supérieur, qui ne pourront ni compter sur l'État, ni vraiment sur leur salaire, pour financer ces masques ? Et quel budget pour les individus situés "hors de la matrice", comme les étudiants étrangers en situation de précarité ?  

Pour ces personnes considérées comme "invisibles" par le système, "la situation devient très compliquée", déplore auprès de L'Express Patrice Blanc, président des Restos du Coeur. "Je précise qu'à côté des masques, il faut pouvoir se fournir en savon, en gel... Dans un budget plus que serré, ça peut devenir une forte contrainte", témoigne-t-il.  

"On fait attention à tout"

"Quand on voit le prix d'une boîte, c'est choquant". Depuis le confinement, Martine et Alain sur la commune de Beauchamp (95) se creusent la tête pour tenter de fournir à leur famille assez de masques chaque jour. Avec leurs jumeaux de 12 ans et leur fils de 14 ans, le "budget masque" est devenu significatif. "On ne peut clairement pas se permettre de mettre 200 euros dans ces protections chaque mois", confie le couple à L'Express. "On travaille, mais on est non-imposable. On fait partie de ceux qui ne touchent pas d'aides, mais on ne roule pas sur l'or non plus, on fait attention à tout", explique Martine, assistante maternelle.  

Durant le confinement, le couple a dû faire face à une dépense alimentaire "décuplée". "C'était dix repas à compter par jour, quinze si on ajoute le petit-déjeuner, les pâtisseries pour s'occuper, tout ça fait pencher la balance, notamment quand on rajoute un salaire amputé par le chômage partiel", explique Alain. "Il y a la rentrée qui arrive, qui sera encore un coup de plus dans le budget... Alors non, des masques à 30 ou 40 euros la boîte, ce n'est pas possible", tranche-t-il.  

Martine avoue opter pour le "système D", des masques en tissu qu'elle a confectionné elle-même durant le confinement. "Pour l'instant, ça suffit, puisque les enfants ne sortent pas beaucoup, sont en vacances. À la rentrée, ce sera une autre histoire", s'inquiète la mère de famille. "Cette histoire de masque, c'est serrer un cran de plus sur la ceinture", ajoute Alain, qui prévoit déjà de raccourcir le budget loisirs de la famille. "On part en vacances puisqu'on a réservé avant le confinement. Mais clairement, on ne fera pas les mêmes choses que l'année d'avant. Les restaurants, les sorties, ce sera limité", témoigne-t-il.  

"Pour les familles qui ont du mal à finir le mois, et doivent se sacrifier sur toute la partie loisir, ce budget masque est un vrai boulet", décrypte pour L'Express Chantal Huet, secrétaire générale de l'association Familles de France. "285 euros de masques chirurgicaux ou 90 euros de masques lavables, c'est déjà beaucoup trop !", insiste-t-elle, prenant l'exemple d'un budget pour une famille de cinq personnes. Son association demande ainsi au gouvernement un "élargissement" des aides aux familles précaires, "sur la base des mêmes conditions que pour l'allocation de rentrée scolaire de base", soit 25 093 euros pour une famille avec un enfant, 30 884 euros pour une famille de deux enfants, "et ainsi de suite". "On ne peut demander un effort supplémentaire à ces ménages, qui sont déjà sur le fil du rasoir pour boucler leurs fins de mois".  

"Ce n'est pas la priorité"

À Rouen, Quentin Thirot, lui aussi, est inquiet. Le jeune homme, président de la Fédération des étudiants rouennais, s'inquiète pour ses camarades étrangers ou précaires, pour qui le budget masque "est un budget de trop". "La plupart des étudiants ont perdu leur petit boulot, ne trouvent pas de job d'été, et certains n'ont pas pu rentrer chez leurs parents à cause du Covid", rappelle-t-il. Les étudiants étrangers, qui ne peuvent pas forcément bénéficier de l'aide de l'État, sont aussi un public "à risque". "On parle de personnes qui ne peuvent déjà pas subvenir à leurs besoins primaires, doivent sauter des repas pour boucler leurs fins de mois. La question de mettre 30 euros pour des masques ne se pose pas", témoigne-t-il.  

C'est le cas de Maria Claudia, jeune colombienne étudiante en droit à Rouen. "Pour moi, c'est compliqué, parce que c'est un budget que je n'avais pas prévu. Au niveau général de mes finances, ce n'est pas la priorité", juge-t-elle, pudique. "Des étudiants qui n'arrivent pas à sortir la tête de l'eau, on en voit tous les jours", ajoute Quentin Thirot. Depuis le début de l'été, son association mène une action pour continuer de fournir en nourriture et en produits de première nécessité les étudiants les plus précaires. "On ajoute désormais des masques aux paniers repas, pour tous ceux qui ne peuvent pas se permettre d'en acheter", explique-t-il.  

"Le choix est vite fait"

Alice*, elle, a terminé ses études depuis plus d'un an, et a été embauchée dans une entreprise parisienne. Mais avec le Covid-19, cette jeune femme de 25 ans a très vite été placée en chômage partiel. "Mon budget a été fortement impacté, puisque je ne touche plus l'intégralité de mon salaire, ni les primes qui le font fortement fluctuer. Avec le loyer parisien, la nourriture, les charges fixes, ça devient compliqué", raconte-t-elle. "Jamais de la vie je ne pourrais me permettre de mettre 100 euros dans des masques, c'est hors de question", tranche la jeune parisienne. "C'est le prix de mon passe Navigo, d'un plein de courses, ou d'un billet de train pour partir souffler un peu", estime-t-elle. Au choix, Alice préfère donc faire quelques entorses à la règle. Parfois, elle réutilise plusieurs fois un masque chirurgical déjà porté, ou un masque en tissu non lavé. "Je n'ai pas le choix. C'est peut-être égoïste, mais entre un plein de nourriture ou une boîte de 50 masques, le choix est vite fait", commente-t-elle. 

Et elle n'est pas la seule : à 37 ans, Léa* confie "relâcher la pression" au niveau des masques. Au début du confinement, cette chargée de ressources humaines dans une grosse multinationale respectait "à la lettre" les recommandations du gouvernement : au moins deux masques chirurgicaux par jour, qu'elle finançait pour sa propre consommation et celle de ses parents. "C'était un budget, à 40 euros la boîte de 50 masques !", se rappelle-t-elle. Mais au fur et à mesure, la trentenaire baisse la garde. "Voilà, on se rend compte que ça coûte cher, qu'il y a des choses qu'on ne peut plus se permettre à cause de ce budget-là". Depuis quelques semaines, Léa assure donc porter un masque en tissu qu'elle ne lave que "tous les quatre jours". "J'ai d'autres achats à faire en matière de santé, des rendez-vous chez le médecin à prendre... 200 euros par mois pour des masques, ce n'est juste pas possible", souffle-t-elle.

Source :

Céline Delbecque

Journaliste// L'express

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