30.11.2014

Tu n'es pas seul

L'auteur, adhérente à Familles de France - fédération de l’Eure et Loire a écrit un ouvrage et fait des conférences et des formations autour du thème « le deuil chez l’enfant ».

Introduction du livre

            Perdre sa mère, son père, un frère ou une sœur est une épreuve très pénible pour les enfants, les petits comme les plus grands. Épreuve très mystérieuse, car nous ne connaissons pas réellement les conséquences d'un tel événement. Cela est difficile à prévoir à long terme...

Ceux qui entourent l’enfant sont souvent peu disponibles pour l'écouter, accaparés par leur propre chagrin, ce qui est normal. C'est pour cela que ce livre s'adresse à l'environnement plus ou moins proche de l'enfant, à tous ceux qui gravitent autour de lui : oncles et tantes, grands-parents, parrain, marraine, cousins des parents, amis proches, voisins de vie, d'aujourd'hui ou d'hier, instituteurs et professeurs, animateurs de clubs de sport, de groupe de jeunes (scouts, chorale ou autres), catéchistes, personnel scolaire paramédical, conseillers d'éducation, etc.

            Quel que soit le lien que nous avons avec le jeune ou l'enfant, nous sommes concernés, même si nous ne le voulons pas ou si nous craignons cette confrontation avec sa douleur, car, pour l’enfant, vivre avec la souffrance de la séparation, assumer cette perte et l'absence, c'est très difficile. Pour vivre avec ce souvenir présent, pour faire son travail de deuil, il aura besoin de tous.

            Les témoignages qui suivent veulent nous aider à répondre à ces questions : comment peut-on traverser ces abîmes ? Comment vivre avec ce bagage, ce « sac à dos » spécial ?

            Des jeunes en deuil nous diront comment ils ont survécu à un tel drame, comment ils vivent aujourd’hui. Ils nous parleront aussi de certaines attitudes qui auraient pu améliorer leur vie quotidienne, après la perte d'un être cher, « perdus » qu'ils étaient dans ce dédale de la douleur qui génère en eux des cris, difficiles à extérioriser.

Souvent, l’entourage ne sait pas quel chemin intérieur – mais aussi extérieur - les jeunes doivent alors suivre, sans l'avoir choisi, surtout si à la suite d’un deuil un déménagement les conduit réellement vers de nouveaux rivages, une « terre inconnue », un nouveau lieu à apprivoiser, eux qui sont déjà « étrangers », même dans le décor autrefois familier (déménager est assez fréquent de nos jours).

            Ces jeunes sollicitent donc notre aide, notre écoute, ils souhaitent que nous les « reconnaissions » avec leur vécu personnel bien réel, peut-être différent du nôtre.

Et ils ont sans doute quelque chose à nous apprendre : ils ont en effet côtoyé des rivages où ils n'ont pas choisi d'accoster, où ils ont été tout à coup projetés avec plus ou moins de rapidité. Rivages tourmentés où se mêlent des sentiments variés, où ils devront apprendre seuls à marcher, car peu accepteront de s'aventurer avec eux, par peur, non par indifférence, ils le savent, mais peuvent-ils l'accepter de notre part ?

            Ils nous proposent donc d'oser faire un bout de chemin avec eux, de les accompagner, vaille que vaille, avec notre charisme, avec tout simplement ce que nous sommes, naturellement... Sans que cela soit très compliqué, il est vrai qu'il faut s'y mettre, que c'est un nouveau défi pour certains ! Le premier pas coûte, certes, mais est-ce pour autant impossible ? Cela servira à ce que d'autres puissent moins souffrir à l'avenir de ces silences, de ces négligences, de ces maladresses, de ces rejets, voire de ces horreurs ! Pour que leur vie soit accompagnée, que la vie soit promue, pour que « l'absence soit apprivoisée » (Annick Ernoult).

            « Moi, la souffrance, j'ai besoin d'être reconnue, partagée, nommée. Si tu me tais, quand je murmure, un jour je réapparaîtrai, je te rattraperai au tournant des événements. Car c'est un vrai détonateur, cette douleur ! Pourtant, si je détruis, ou déchire, derrière moi se profile une lueur qui réchauffera ton cœur. Cherche à t’entourer de ceux qui t'auront écouté et t'amèneront un peu plus vers la vie, qui te feront du bien, qui t'aideront à faire pousser les germes de vie que tu verras renaître en toi et autour de toi. Cette terre érodée verra fleurir d'autres plantes inconnues de toi, que certains apprécieront sûrement : le goût de la vérité, de la simplicité, la faculté de sentir ce que vit l'autre et de partager, la vulnérabilité créatrice, le goût de vivre envers et contre tout, même la rage de vivre, la capacité à rebondir, à ne pas s'enferrer dans une seule voie possible, à imaginer la vie sans cesse renouvelée et à construire, à repartir après un échec, qui n'est qu'un obstacle, pas une barrière... »

            Qui pourra aider un jeune en deuil à vivre, pour qu’il puisse dire un jour :

            « Le chagrin qui autrefois menaçait de m'engloutir a trouvé sa place au fond de moi. Ma souffrance n'est pas quelque chose dont il faut que je me débarrasse, elle fait partie de ce que j'ai à offrir, elle fait partie de moi.[1] »

            À quel titre ai-je écrit ce livre ?

            Durant trente-huit années d'enseignement, comme professeur de lettres en collège ou en lycée, j’ai côtoyé de très nombreux jeunes. Et j'ai vécu moi-même, à l’âge de six ans, la mort brutale de Maman, lors de la naissance de ma petite sœur, décédée en même temps. Puis ayant perdu, pendant mon adolescence, deux de mes cinq sœurs à la suite de maladies (elles avaient vingt et trente ans), j'étais sans doute plus à même de repérer ces jeunes en difficulté ; et ma sensibilité était naturellement aiguisée pour leur accorder une écoute aussi réelle que discrète. Cet accompagnement ne s'improvise pas, il s'élabore au gré des jours qui passent, il se construit pas à pas, dans la fragilité de l'être et le respect du jeune et de sa famille.

            Il m’a semblé que les témoignages recueillis pendant toutes ces années ne pouvaient rester inconnus du grand public, d'autant que ces anciens élèves ou ces adultes qui avaient traversé ces terres du deuil n'avaient parlé, pour la plupart, que pour que « cela serve à quelqu'un », que leur traversée du désert ne soit pas vaine. Elle alimenterait la réflexion sur ce sujet, elle pourrait être un moteur qui réamorcerait la vie de ceux que le deuil a meurtris au-delà de l'imaginable. En un mot, que la vie soit la plus forte, toujours, et encore... J'étais en somme « mandatée » par eux, chargée de dire ce qu'ils n'avaient pas pu ou pas voulu dire de leur douleur, en essayant de regarder la réalité en face, sans en occulter certaines facettes.

            Si j’ai changé tous les noms propres, je n'ai par contre rien modifié aux phrases « choc » que vous allez lire, aux réactions quelquefois violentes qui pourront vous surprendre. C'est la vie « brute ». Ayant eu la chance d'enseigner dans neuf établissements différents en France, dans huit villes successives, ces témoignages viennent de toutes les régions par lesquelles je suis passée. Ils émanent des jeunes et des moins jeunes que j'ai eu la joie de rencontrer, et dont je garderai toujours au cœur un souvenir inoubliable.



[1]     Maria Housden, Le cadeau d'Hannah, Presses de la Renaissance, 2004.

Livre de Marie-Madeleine de Kergorlay préfacé par Patrick Poivre d'Arvor.